L’ecole et politique
Les causes sociales des inégalités à l’école
?ntroduction
Pour les sociétés démocratiques il n’y a pas d’une necessité de justifier le contraste entre le principe d’égalité et la réalité des inégalités. L’école républicaine est précisément censée détecter les plus méritants ,les promouvoir jusqu’aux meilleures places et apporter une égalité des chances à tous ses élèves, sans distinction deleur origine sociale, tout en formant des citoyens de la nation. Elle devrait donc donner sa chance à chacun. Mais Selon Edmond Goblot, dans La barrière et le niveau, Étude sociologique sur la bourgeoisie française moderne (1925), le Baccalauréat serait à la fois une barrière et un niveau. C’est- à dire ,les inégalités ne sont pas seulement une inégalité parmi d’autres, mais aussi une courroie dereproduction des inégalités, utilisant l’idéologie méritocratique. Analyser la genèse des inégalités sociales à l’école constitue donc un enjeu indissociablement scientifique et politique, puisque cela revient à explorer les processus qui engendrent et reproduisent les inégalités sociales.
Dans ce texte, nous présenterons dans une première partie une synthèse des inégalités sociales àl’école, ,avant d’examiner dans une seconde partie comment ces « régularités » peuvent être expliquées, en interrogeant les constructions théoriques existantes. Nous aborderons pour finir les débouchés politiques de ces questions.
II. Les inégalités à l’école : des modèles pour les comprendre, des politiques pour les réduire
Pour comprendre ces inégalités, dont les mécanismes sous-jacents sont relativement bienidentifiés, un modèle théorique est nécessaire, qui doit bien sûr être testable : les données empiriques doivent pouvoir l’infirmer et sa valeur explicative se doit d’être régulièrement vérifiée à l’aune des nouveaux résultats empiriques. Les grandes enquêtes et analyses quantifiées sur lesquelles nous nous sommes appuyées sont de fait élaborées sans référence précises à une théorie. Or lepourcentage de la variance d’un comportement expliqué par telle variable doit évidemment être interprété, c’est-à-dire traduit en termes de cause à effet, les causes étant à rechercher dans les actions des acteurs et leurs fondements, ainsi, éventuellement, que dans l’effet de l’agrégation d’un certain nombre de comportements, ou la résultante d’un certain type de situation.
1. Expliquer lescomportements des acteurs
Le premier phénomène à expliquer, ce sont les inégalités précoces de réussite. Mais les sociologues manifestent un certain malaise par rapport à la question de l’existence d’inégalités d’intelligence entre groupes sociaux, avant tout par rejet de la thèse du caractère héréditaire de l’intelligence et de l’ »idéologie des dons » corollaire. Il reste qu’on ne peut à la fois considérerque l’intelligence se développe dans un environnement social et exclure que les fortes inégalités dans la qualité matérielle et éducative du milieu de vie des enfants n’ait aucun effet sur leur développement cognitif. Si Bernstein a amorcé, avec sa théorie des codes socio-linguistiques, une sociologie du développement cognitif (tel fonctionnement familial est lié à tel mode d’expression, lui mêmelié à tel mode de fonctionnement cognitif), en France, les sociologues tels que Bourdieu et Passeron ont préféré expliquer l’avantage des « héritiers » par l’ »inégale distance » entre le parler scolaire et le parler prévalant dans les différents milieux sociaux, avec en arrière-plan une théorie de la domination sociale dont le langage et plus largement la culture valorisés à l’école étaient lesvecteurs.
Dans le même temps, les psychologues (cf.notamment Lautrey, 1980) démontraient l’existence de pratiques éducatives inégalement stimulantes pour le développement cognitif de l’enfant, selon les milieux sociaux. Dans une perspective différente, des sociologues comme de Graaf (et al., 2000) ont établi que la meilleure réussite des enfants de milieu favorisé passe effectivement par les…