Les mains sales

2. Sartre comme un philosophe de l’engagement politique

La pièce de théâtre « Les mains sales », faisant partie du genre appelé « théâtre de situations », est une des œuvres écrits par un intellectuel avec des convictions marxistes et socialistes qui ne sont apparus que quelques peu d’années après la deuxième guerre mondiale est qui ont été abusés pendant cette « guerre froide », qui alorsavait commencé, comme une source d’argumentation contre le communisme, chose qui n’avait point été l’intention de l’auteur. Un autre exemple bien connu de ce phénomène est l’apparition de la nouvelle satirique « Animal Farm » de George Orwell, lui aussi étant socialiste, d’un œuvre émetteur des points forts de jugements critiques sur quelques développements caractérisants du socialisme dans lemonde, notamment du stalinisme, et qui avait alors été bien accueilli des représentants de convictions anti-marxistes, chose que George Orwell lui non plus n’avait point désiré[1].

« Les mains sales » avait été écrit en 1948, une année qui sera très importante dans l’évolution politique de Sartre. Il rejoindra le groupe qui était à l’origine du R.D.R. (Rassemblement DémocratiqueRévolutionnaire). En outre, il prendra position pour la création de l’État d’Israël. C’est aussi vers la fin de cette année-là, que toute l’œuvre de Sartre sera mise à l’Index[2], c’est-à-dire déclarée anathème par l’Église Catholique.

« Les mains sales » avait été le drame le plus populaire des drames sartriens. L’année de son apparition faisait partie d’une époque de la vie de Sartre pendant laquelle ildevenait de plus en plus conscient de la nature politique de toute existence humaine. En réfléchissant sur cette phase dans sa vie, Sartre déclarera lui-même dans son autoportrait à soixante-dix ans en 1975: « Tout homme est politique. Mais ça, je ne l’ai découvert pour moi-même qu’avec la guerre, et je ne l’ai vraiment compris qu’à partir de 1945. Avant la guerre, je me considérais simplement commeun individu, je ne voyais pas du tout le lien qu’il y avait entre mon existence individuelle et la société dans laquelle je vivais… j’étais l’ ’homme seul’, c’est-à-dire l’individu qui s’oppose à la société par l’indépendance de sa pensée mais qui ne doit rien à la société et sur qui celle-ci ne peut rien, parce qu’il est libre »[3]. Pendant cette époque-là, il critiquait non seulement « labourgeoisie », voire « l’idéalisme bourgeois » et le « matérialisme aveugle », mais aussi, comme Orwell, le néomarxisme stalinien

Cette époque marque donc un changement dans la vie personnelle de Sartre. Son séjour en Allemagne nazie en 1933 l’avait déjà mis en rage, mais sa pensée tournait quand même plutôt autour de lui-même, il était préoccupé de son propre « salut personnel » à lui, pour ainsidire, plutôt que d’un « salut collectif »[4]. Mais ses expériences personnelles dans la guerre comme mobilisé et en captivité allemande changeront son optique. Cette guerre le tira de son sommeil individualiste. Laurent Gagnebin décrit cette métamorphose comme suit : « Une perspective sociale va peu à peu se substituer… à une visée exclusivement psychologique ou, plus exactement, la compléter.[5] »À la lumière de cela nous ne sommes pas étonnés de trouver dans « Les mains sales » des réflexions de Sartre sur lui-même. Dans la personne d’Hugo, nous voyons le Sartre avant la guerre ou bien le jeune Sartre, avec lequel le Sartre devenu mûr voudrait se débarrasser à fur et à mesure. Dans la personne d’Hoederer nous voyons, en partie, une personnification des alternatives politiques aveclesquels Sartre expérimente à l’époque, bien qu’il les critique également fortement. Il n’est pas du tout d’accord avec le pragmatisme de cet Hoederer, mais il réfléchit sur les conditions philosophiques d’une application plus pratique de ses pensées en matière de philosophie. Hoederer représente donc à un certain dégrée le Sartre mûr ou un prototype d’un homme politique marxiste avec lequel…