Les signes du comique

Envoyé par Françoise.

[Article quelque peu modifié, paru dans Saggi et ricerche di litteratura francese, vol. XXI (1982), p. 191-241]
Les Signes du Comique

Sur le plan de l’intrigue, les éléments traditionnels de la comédie sont assez bien connus. Grâce à des études aussi différentes que celles de Northrop Frye et de Charles Mauron, qui se recoupent pourtant sur bien des points(1), nousreconnaissons d’emblée le barbon et le valet, les amoureux et les fâcheux de la «nouvelle» comédie qui domina les tréteaux depuis Térence jusqu’à Beaumarchais. Notre tentative ici n’est pas de modifier ces données mais d’attirer 1’attention sur les thèmes et les stratégies dramatiques de la comédie aussi bien que sur les personnages-type, afin de cerner de plus près, s’il se peut, non le sens de lacomédie en tant qu’institution, mais les signaux propres au comique.
Il est un aspect de la théorie comique qui fait encore sérieusement défaut, c’est celui du rire. Entre le purement physiologique — quels muscles et nerfs réalisent l’acte de rire — et le psychanalytique, personne n’a su finalement nous dire, ni Freud ni Bergson, ni Baudelaire ni Meredith, pourquoi on rit. Décharge d’un surplusd’énergie psychique? Mais pourquoi prend-elle, et dans certaines circonstances seulement, cette voie précise plutôt qu’une autre? Et puis «rire » désigne toute une gamme de manifestations objectivement diverses; l’occasion de se tenir les côtes est bien moin fréquente que celle de sourire où les manifestations d’une soi-disant «décharge» sont infiniment plus subtiles. Il va donc s’agir icid’associations et non d’explications: sans prétendre dire pourquoi les choses sont comiques ou pas, nous nous contenterons d’identifier et d’analyser un certain nombre de traits qui sont habituellement à leur place dans la comédie, si bien que leur présence peut suffire pour classer une œuvre sous cette rubrique. C’est bien un message générique qu’ils communiquent au spectateur.
Aucun de ces articlesne paraîtra surprenant; ils sont au contraire plutôt évidents. Mais il est quelquefois utile de constater ce qui semble aller de soi, pour mieux situer ensuite le fond des problèmes qui restent à résoudre. Or il y a par rapport au comique une ambiguïté déconcertante et qui résiste à l’analyse, à savoir son rapport étroit avec le tragique. Walter Kerr l’a souligné dans un ouvrage intelligentintitulé Tragedy and Comedy (2), où il les met en contrepoint, expliquant l’une par rapport à l’autre, et jette ainsi une lumière nouvelle sur ce fait, que la comédie n’est pas seulement satire (voire parodie) du monde, mais plus précisément satire de la tragédie. Du coup la question du rire comique est réorientée non seulement vers la «vie» mais aussi vers des considérations littéraires. Dans uneperspective fondamentalement différente de celle de Frye sans pourtant être en conflit avec elle, Kerr rend compte à sa manière de la parenté entre Charlie Chaplin (l’un de ses sujets préférés, en effet) et le tragique de la vie. Il a peu remarqué cependant le degré de proximité entre l’action comique et celle de la tragédie.
Il est peu de traits comiques qui n’aient leur analogue tragique, comme si lamission comique était justement de frôler indemne le danger. Il n’est guère de sujet comique, si par là on entend sujet intrinsèquement comique; les deux genres opposés occupent ici un large territoire commun. Ce qui les distingue l’un de l’autre peut bien être le fait que, selon la convention bien connue, l’une «finit bien» et l’autre pas; mais ce n’est pas en tout cas que l’une traite de telleou telle chose qui ne soit pas du ressort de l’autre. Qu’on ne s’étonne pas non plus de trouver des passages remarquablement similaires ici et là. «Il suffit que sur moi je me rends absolue» et «Tu connais ma valeur, éprouve ma clémence», sont deux vers qui se trouvent non dans Cinna mais dans L’Illusion comique (III, 8; III, 9). Il y a, certes, des différences de ton, et c’est elles qui sont…