Préface de cromwell

Cromwell – Préface Victor Hugo

Publication: Source : Livres & Ebooks

Préface
Le drame qu’on va lire n’a rien qui le recommande à l’attention ou à la bienveillance du public. Il n’a point, pour attirer sur lui l’intérêt des opinions politiques, l’avantage du veto de la censure administrative, ni même, pour lui concilier tout d’abord la sympathie littéraire des hommes de goût, l’honneurd’avoir été of?ciellement rejeté par un comité de lecture infaillible. Il s’offre donc aux regards, seul, pauvre et nu, comme l’in?rme de l’Evangile, solus, pauper, nudus. Ce n’est pas du reste sans quelque hésitation que l’auteur de ce drame s’est déterminé à le charger de notes et d’avant-propos. Ces choses sont d’ordinaire fort indifférentes aux lecteurs. Ils s’informent plutôt du talent d’unécrivain que de ses façons de voir ; et, qu’un ouvrage soit bon ou mauvais, peu leur importe sur quelles idées il est assis, dans quel esprit il a germé. On ne visite guère les caves d’un édi?ce dont on a parcouru les salles, et quand on mange le fruit de l’arbre, on se soucie peu de la racine. D’un autre côté, notes et préfaces sont quelquefois un moyen commode d’augmenter le poids d’un livre etd’accroître, en apparence du moins, l’importance d’un travail ; c’est une tactique semblable à celle de ces généraux d’armée, qui, pour rendre plus imposant leur front de bataille, mettent en ligne jusqu’à leurs bagages. Puis, tandis que les critiques s’acharnent sur la préface et les érudits sur les notes, il peut arriver que l’ouvrage lui-même leur échappe et passe intact à travers leurs feux croisés,comme une armée qui se tire d’un mauvais pas entre deux combats d’avant-postes et d’arrière-garde. Ces motifs, si considérables qu’ils soient, ne sont pas ceux qui ont décidé l’auteur. Ce volume n’avait pas besoin d’être en?é, il n’est déjà que trop gros. Ensuite, et l’auteur ne sait comment cela se fait, ses préfaces, franches et naïves, ont toujours servi près des critiques plutôt à le compromettrequ’à le protéger. Loin de lui être de bons et ?dèles boucliers, elles lui ont joué le mauvais tour de ces costumes étranges qui, signalant dans la bataille le soldat qui les porte, lui attirent tous les coups et ne sont à l’épreuve d’aucun.

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Des considérations d’un autre ordre ont in?ué sur l’auteur. Il lui a semblé que si, en effet, on ne visite guère par plaisir les caves d’un édi?ce,on n’est pas fâché quelquefois d’en examiner les fondements. Il se livrera donc, encore une fois, avec une préface, à la colère des feuilletons. Che sara, sara. Il n’a jamais pris grand souci de la fortune de ses ouvrages, et il s’effraye peu du qu’en dira-t-on littéraire. Dans cette ?agrante discussion qui met aux prises les théâtres et l’école, le public et les académies, on n’entendra peut-êtrepas sans quelque intérêt la voix d’un solitaire apprentif de nature et de vérité, qui s’est de bonne heure retiré du monde littéraire par amour des lettres, et qui apporte de la bonne foi à défaut de bon goût, de la conviction à défaut de talent, des études à défaut de science. Il se bornera du reste à des considérations générales sur l’art, sans en faire le moins du monde un boulevard à sonpropre ouvrage, sans prétendre écrire un réquisitoire ni un plaidoyer pour ou contre qui que ce soit. L’attaque ou la défense de son livre est pour lui moins que pour tout autre la chose importante. Et puis les luttes personnelles ne lui conviennent pas. C’est toujours un spectacle misérable que de voir ferrailler les amours-propres. Il proteste donc d’avance contre toute interprétation de ses idées,toute application de ses paroles, disant avec le fabuliste espagnol : Quien haga aplicaciones Con su pan se lo coma. A la vérité, plusieurs des principaux champions des « saines doctrines littéraires »lui ont fait l’honneur de lui jeter le gant, jusque dans sa profonde obscurité, à lui, simple et imperceptible spectateur de cette curieuse mêlée. Il n’aura pas la fatuité de le relever….