Introduction
En 1668, La Fontaine fait paraître le premier recueil de ses Fables, duquel est extrait Le Loup et l’Agneau.
Cette fable illustre une morale et met en scène des animaux pour mieux évoquer les hommes. Elle met en évidence une réalité cruelle à portée universelle : le dialogue entre le loup et l’agneau met en évidence le comportement de celui qui non seulement exerce sa violencesur le plus faible mais cherche à la justifier.
Le Loup et l’Agneau
La raison du plus fort est toujours la meilleure :
Nous l’allons montrer tout à l’heure.
Un Agneau se désaltérait
Dans le courant d’une onde pure.
Un Loup survient à jeun qui cherchait aventure,
Et que la faim en ces lieux attirait.
Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ?
Dit cet animal plein de rage :
Tuseras châtié de ta témérité.
– Sire, répond l’Agneau, que votre Majesté
Ne se mette pas en colère ;
Mais plutôt qu’elle considère
Que je me vas désaltérant
Dans le courant,
Plus de vingt pas au-dessous d’Elle,
Et que par conséquent, en aucune façon,
Je ne puis troubler sa boisson.
– Tu la troubles, reprit cette bête cruelle,
Et je sais que de moi tu médis l’an passé.
– Comment l’aurais-jefait si je n’étais pas né ?
Reprit l’Agneau, je tette encor ma mère.
– Si ce n’est toi, c’est donc ton frère.
– Je n’en ai point. – C’est donc quelqu’un des tiens :
Car vous ne m’épargnez guère,
Vous, vos bergers, et vos chiens.
On me l’a dit : il faut que je me venge.
Là-dessus, au fond des forêts
Le Loup l’emporte, et puis le mange,
Sans autre forme de procès.
La Fontaine, LesFables
Le Loup et l’Agneau
Annonce des axes
Commentaire littéraire
I. Deux personnages opposés
a) Le loup
Cruel, tyrannique, supérieur.
Champ lexical de la haine : « plein de rage », « colère »… Le Loup se comporte en prédateur, soumis à ses instincts, à sa « faim », à ses pulsions agressives et cruelles : son discours est plein de menaces – « Tu seras châtié » -, d’affirmations sansfondement.
Royauté : « sire », « majesté »…
Loup = symbole de la force
Dédain envers l’agneau.
b) L’agneau
L’agneau est un être doux et innocent, honnête et respectueux. Le lecteur a d’autant moins de peine à passer du monde animal au monde humain que La Fontaine nous y prépare. Quand l’agneau s’adresse au loup comme un modeste sujet à son roi (« Sire », « Votre Majesté »). La Fontaine nous invite àvoir derrière le récit animalier les rapports de force de la société humaine du XVIIe siècle, sous la monarchie absolue de Louis XIV.
Compassion du lecteur, pitié envers l’agneau
c) Relation entre les deux animaux
Le loup est supérieur à l’agneau au niveau physique et aussi au niveau « social ».
L’agneau s’adresse au loup par la 3ème personne du singulier, ce qui est une marque de respect
Leloup s’adresse à l’agneau par la 2ème personne du singulier -> manque de respect
II. Deux argumentations différentes
En plaçant la morale de la fable au premier vers « La raison du plus fort est toujours la meilleure », La Fontaine annonce directement l’issue de l’affrontement entre le loup et l’agneau. Ce « procès » (vers 29) est donc truqué. Le narrateur qui se veut objectif annonceimplicitement ce qui doit arriver et le loup déploie des trésors de rhétorique et de mauvaise foi, pour justifier le meurtre de l’agneau qui reste naïf et honnête.
a) Argumentation du loup : la mauvaise foi
C’est d’abord un fait matériel qu’il reproche à l’agneau : « troubler [son] breuvage » (vers 7). Le loup n’attend pas la réponse de l’agneau, il l’a déjà condamné sans appel, comme le marque le futur: « Tu seras châtié » (vers 9). Les arguments irréfutables qu’oppose l’agneau sont balayés par le loup qui nie l’évidence. Il répète son accusation sans tenir compte des arguments valables de l’agneau, mais sous une forme plus ramassée et plus hargneuse – en trois mots : « Tu la troubles » (vers 18).
Le loup quitte ensuite le domaine des faits et du présent pour invoquer de prétendues assertions…