Une langue parfaite est-elle possible ?

Une langue parfaite est-elle possible ?

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Introduction:

La fonction du langage semble être de communiquer. Communiquer, c’est-à-dire échanger, mettre en commun, rendre commun, c’est-à-dire rendre public ce qui d’abord était privé. Il s’agit de donner connaissance à autrui de ce qui m’estpersonnel, privé, intérieur, puisque appartenant au champ fermé de ma conscience. Les pensées sont incommunicables directement, de conscience à conscience. Ma pensée ne peut être connue d’autrui qu’indirectement, par la médiation du langage. Communiquer consiste donc à traduire la pensée en mots pour la transmettre à autrui. Communiquer, c’est transmettre un message. La communication peut êtrepensée sur le modèle de la transmission entre un émetteur et un récepteur. Le langage serait donc le véhicule, ou l’instrument de la pensée. C’est la conception la plus commune du rapport entre le langage et la pensée: le langage est un instrument au service de la pensée. Certaines expressions courantes sont révélatrices de cette conception instrumentaliste: on dit que les mots « traduisent » notrepensée, ce qui suppose que la pensée est déjà là, avant l’expression. Ou encore, on dit que l’on « cherche ses mots », comme si l’on avait une idée, sans trouver le mot qui lui correspond. La pensée, donc, préexisterait au langage, les idées précéderaient les mots. Ne pas trouver le mot adéquat suscite un sentiment d’agacement, voire d’hostilité contre cet outil imparfait qu’est le langage. Le langage apour fonction de communiquer un message. Le but est d’arriver à une transmission aussi claire que possible. Mais elle n’est jamais absolument transparente. Toute transmission d’information subit des pertes, des déformations. Le langage, instrument au service de la pensée, n’est pas toujours fidèle à mon intention. C’est un outil imparfait, car les mots trahissent nos intentions, ils déforment notrepensée. Cette imperfection peut-elle être surmontée, ou est-elle sans remède? Est-elle accidentelle, ou essentielle – alors, le langage serait imparfait par nature?

I. « Il faut se méfier des mots »

Les mots ne correspondent pas toujours à nos pensées, parce que la langue est une oeuvre collective, forgée au cours des siècles passés, et commune à tous, tandis que notre pensée est personnelle.Les mots de tout le monde ne conviennent pas toujours à mes pensées, je n’y peux rien, c’est inévitable.

1. La généralité du concept

Les mots ont pour défaut leur trop grande généralité. En particulier les noms communs. Comme leur nom l’indique, ils sont communs à plusieurs choses. Le nom propre, lui, est propre à un être, il n’appartient qu’à lui. Le nom commun, en revanche, convient àtous les êtres de la même espèce. Au nom commun correspond une idée générale, une essence, un concept, ou, comme dirait Platon, une Idée. Le concept regroupe tous les traits essentiels communs à tous les êtres d’une même espèce. Le nom commun, donc, ne retient que ce qu’il y a de commun. Il gomme la spécificité, l’originalité de chaque être singulier. Les différences singulières, accidentelles, sontpassées sous silence. Si je désigne cet arbre-ci, cet arbre unique, dont un poète saurait décrire l’originalité, du nom générique d’arbre, je ne dis rien de lui, je le confonds avec tous les autres. Le problème se posera tout spécialement quand il s’agira de décrire quelque chose de particulièrement original, de tout à fait singulier. Par exemple une sensation ou un sentiment. Chaque histoired’amour est unique pour ceux qui la vivent. Mais rien n’est plus banal que les mots « je t’aime ». Le langage semble impuissant à exprimer l’unique, à cause de la généralité des mots. En décrivant un sentiment unique à l’aide de mots, je le ramène à du déjà connu, du déjà éprouvé. Le mot de « colère » exprime un concept général, commun à une multitude de sentiments et de personnes. Le seul fait de…