Peut-on s’identifier à un personnage négatif ?

Vaut-il mieux être jeune, riche, beau, intelligent et sympathique ou pauvre, laid, vieux, malade,désagréable et acariâtre pour être un héros de roman ? C’est l’étude de l’évolution historique du roman qui pourrait permettre de répondre à la question. Les romans du XIX ème siècle présentent souvent des personnages négatifs. Mademoiselle Gamard n’a rien de Pénélope et Sidonie Rougon ne sembleavoir rien de commun avec la reine Guenièvre ou la princesse de Clèves. Comment le lecteur peut-il s’identifier avec ces personnages négatifs, médiocres, parfois nuisibles ? Que recherche le romancier en choisissant de tels « héros » ? Il faudra donc, d’abord, essayer de définir ce qu’est un personnage de roman, ce que recouvre le terme « négatif ». On verra ensuite quelle peut être la position dulecteur et se demander si l’intention du romancier est de permettre l’identification du lecteur à tous ses personnages.

I. le personnage de roman n’est plus un héros.

Jusqu’au dix-neuvième siècle, la plupart des personnages de romans sont des héros, en ce sens qu’ils sont des personnages extraordinaires qui développent des qualités ou des aptitudes hors du commun. A l’origine le héros estun demi-dieu, ou le protégé d’une divinité, les obstacles qui se dressent sur sa route sont surmontés grâce à ses qualités ( Ulysse, Achille).Il n’y a pas de héros négatif. Au Moyen-Age, le héros est avant tout un modèle de Foi, de fidélité à son idéal, à sa dame, à son roi, il est noble et sait -malgré les épreuves traversées- résister au mal. La plupart du temps il triomphe des épreuves grâce àsa vertu . C’est le modèle pour le lecteur( Lancelot dans le Roman de la table Ronde). Son contraire sera le traître, le félon, pétri de bassesse, qui connaîtra une fin atroce, et sera voué aux flammes de l’enfer et auquel il sera impossible de s’identifier.

Au dix-neuvième siècle, apparaissent des héros différents : leur condition simple (paysan, ex-bagnard), leur physique et leur âge en fontdes personnages nouveaux. Mais ils sont toujours méritants et bons et il semble que ce soit les autres, les « mauvais » qui s’acharnent contre eux. (les Thénardier, Javert, dans « les misérables « de Victor Hugo ou Bill Sikes dans « Oliver Twist » de Charles Dickens).
Dans ces romans les personnages négatifs ont tous les défauts et ces êtres servent de repoussoirs. D’un côté les « bons », les héros,et de l’autre, « les méchants ». Les uns s’opposent aux autres. On s’identifie aux premiers et on rejette les seconds. Le négatif est alors le contraire du positif. Mais on parle encore de « héros ».
Or, certains romanciers comme Balzac, Maupassant, Stendhal ou Zola vont nous présenter des « personnages » et non plus des héros. Ces « personnages » ne sont plus des modèles, ils deviennent complexescomme des personnes. Sont-ils négatifs ? Ils ne sont, en tout cas, pas attirants. Ils ne sont pas vertueux, ils ont des défauts , ils sont souvent antipathiques. Ils ont peu de vertus, ils peuvent développer à l’extrême un vice ou une manie, ils peuvent être avares, cupides, arrivistes, âpres au gain, médisants, racornis, jaloux, envieux ou simplement bêtes. Le plus souvent leur apparence physique endit long sur leur psychologie. Ils ressemblent à ce qu’ils sont. Ils ne sont pas complètement mauvais, pas entièrement négatifs. Ce ne sont pas des héros du Mal ni des anti-héros. Ce sont parfois des médiocres, ils peuvent devenir malfaisants pour assouvir leur passion, mais cette passion elle-même apparaît au lecteur comme mesquine ou minable. C’est la passion de l’argent pour certains, ou unepassion amoureuse qui les poussera à l’adultère, au meurtre ou au suicide. D’autres sont pétris d’une ambition qui va les dévorer et leur faire rater leur vie.

Ils sont devenus humains. Le romancier va donc présenter des personnages bien humains, qui pourraient être réels, des personnages, hommes ou femmes qui pourraient exister, des gens ordinaires ou presque.Le héros a disparu du roman….